EDOUARD ET BREL

On peut parler de la pluie, puis, du beau temps.
Une conversation banale s'il en est! D'autant qu'ici, au Sénégal, le temps est prévisible...
Il n'a d'importance qu'à l'hivernage. Et, quasi seulement pour les agriculteurs.
Nul besoin de regarder le bulletin météo pour savoir comment s'habiller demain!
Il est, par contre, des sujets qui nous font découvrir des gens intéressants. Des êtres qui vous apprennent des choses. Qui contre-balancent des arguments vis à vis de nos certitudes. Avec sagesse, patience et pertinence.
Les autres, les obtus, les endoctrineurs, les spécialistes du déni, on les évite!
Édouard est né dans les années soixante du côté d'Abébé, à quelques lieues de Kafoutine, en Casamance.
Le travail l'avait amené à s'installer à Mbaling, entre Mbour et Warang, sur la Petite Côte sénégalaise.
Il venait de prendre sa retraite après de longues et laborieuses années passées dans une usine de traitement des produits halieutiques.
Édouard ne savait pas encore s'il allait rentrer au pays. Il pouvait encore être utile à son porte-monnaie en restant à Mbour...
Catholique "mais pas trop", le mareyeur me parlait de dieu. Le sien.
L'histoire de son éducation religieuse, sa foi passée, ses bonheurs d'y avoir cru, ses doutes aussi.
- Finalement, je crois que Dieu, ce sont les hommes et qu'ils ne le savent pas.
Quand il me dit cette phrase, je restai interloqué! Non seulement, sa pensée, sa conviction rejoignaient les miennes mais il venait de citer Brel!
Bien évidemment, je lui ai posé la question.
- Tu connais Jacques Brel?
- Non, c'est un toubab?
Alors, j'ai parlé du grand Jacques à Édouard!
Longtemps.
Du chanteur, du cinéaste, de l'acteur aussi, mais, surtout du bonhomme..
Gourmand, mon nouvel ami écoutait, posait des questions.
Édouard découvrait un homme qu'il aurait aimé rencontrer. Qui sait si aux Marquises, Brel n'a pas palabré des heures avec un indigène.
Quand on relit les paroles de cette chanson, "les Marquises", c'est indubitable!
Devant l'envie de mon casaçais, je l'ai invité au cyber du village. Nous avons passé plus de deux heures à visionner Brel. Inoubliable!
Édouard vient de quitter Mbour. Il est rentré à Abébé.
L'une des dernière phrase lue sur l'écran de l'ordinateur a-t-elle précipité sa décision?
"Ce qu'il y a de difficile, pour un homme qui habiterait Vilvoorde et qui voudrait aller à Hong Kong, ça n'est pas d'aller à Hong Kong, c'est de quitter Vilvoorde"

(illustration Raymond Moretti)