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La Lorgnette du Margouillat

ANGE ET FATOUMATA

ANGE ET FATOUMATA

Qui vole un œuf...gagne un zébu!
Comme l'écrivait Jean de la Fontaine, "nous l'allons montrer tout à l'heure"...
Fatoumata habite un petit village à l'orée de la forêt de Mahekor, non loin de Fatick.
Pas même un village, juste quelques concessions familiales à majorité Sérère encerclant un point d'eau où s'abreuvent zébus, chevaux, chèvres, moutons et chacals quand les femmes n'y font pas puise et lessive.
Fatoumata est Peuhl-Sérère. Son père possède quelques troupeaux, pratique la transhumance entre Mali et Tambacounda, aidé par ses frères et cousins.
Les deux femmes du père s'entendent au partage du mari absent, des enfants en bas âge et de la gestion de l'élevage de basse-cour familial.
Fatoumata a 17 ans. Elle fréquente sporadiquement une école bien trop éloignée que pour faire douze kilomètres à pied chaque jour. Les tâches ménagères, la garde des petits, la quête du bois réclamant sa présence.
Ange, beau jeune homme de 24 ans et grand espoir de la lutte traditionnelle locale a jeté son dévolu sur Fatoumata.
Le mariage sera compliqué. La séduire, c'est déjà fait!
Bien évidemment, avec un tel prénom, Ange est Catholique. Fatoumata Musulmane. Sinon qu'à l'Angélus, près du marigot, les religions s'effacent, les acacias se font complices, les pintades sauvages ferment les yeux...
Samedi, il y a un tournoi de lutte à Fatick. L'animisme d'Ange supplante son Christianisme quand son entraîneur lui conseille de se faire masser avec de la farine de mil, un litre et demie de Fanta, quelques feuilles et racines bien particulières  et quatre œufs de poule Brahma brune.
Il a parlé à sa bien aimée de ce combat, des conseils de son manager-marabout. Fatoumata n'aime pas la lutte. Mais, elle aime Ange!
Elle n'ira pas à Fatick. Elle n'en aurait de toute façon pas la permission mais, de plus, ne supporterait pas de voir son amoureux se battre, voire perdre l'un de ses combats.
Par contre, quatre œufs de poule Brahma brune, elle peut! Il suffit qu'elle se glisse dans le poulailler et récolte la ponte. Ni vu, ni connu de la concession!
C'est ainsi qu'Ange pu, outre les incantations, les gri-gri, les prières et autres préparations physiques, se doucher et se faire masser par son coatch avant le tournoi.
Tournoi qu'Ange gagna!
Son premier grand tournoi! Il avait déjà lutté - toujours sous un pseudo que par discrétion nous ne révèlerons pas ici -  à Djifer, Palmarin, Foundioune, Faoye, Mbour même. Mais, jamais encore, il n'avait eu la chance d'accéder à une finale et la gagner. Même le grand Bombardier assistait au tournoi et le félicita chaleureusement. Un homme gentil ce champion!
Ange fut photographié, interviewé, filmé par la télévision régionale. Humble mais surtout soucieux de la discrétion exigée par sa famille vis à vis des combats, Ange remercia timidement, balbutia quelques mots et s'en retourna au village avec son trophée: un zébu de 6 mois...
Premier prix prestigieux, de grande valeur mais aussi bien encombrant! Il faudra quelques amis, quelques véhicules improbables, quelques temps pour acheminer le bovidé jusque dans la forêt de Mahekor.
Il est exclu qu'Ange rentre à la concession avec le zébu. La place manque et le trophée, même gagné de haute lutte, ne sera pas le bienvenu. Au mieux, il sera vendu sous cape à un maquignon avant même d'arriver au village.
Et puis, Ange a une dette d’œufs et beaucoup de sentiments pour Fatoumata...
C'est ainsi que vers 18 heures, ce mercredi, Fatoumata rejoint Ange dans leur clairière secrète.
Deux aigrettes pique-bœuf tiennent déjà compagnie au zébu, chassant les mouches et autres parasites pendant que les souimangas à longue queue sautent de branche en branche, jouant avec les tisserins et les merles métalliques. Le vieux baobab, foudroyé par un orage, écartelé mais toujours vivant, fait de l'ombre tendre aux amoureux. La lumière devient orangée, juste le temps d'un baiser, d'une étreinte.
Un écureuil palmiste se gratte les bajoues, tout émoustillé par la scène.
Walt Disney n'est pas loin...
Ange prend la main de Fatoumata. La guide vers la corde du zébu et lui offre.
- Je sais que ton père sera content. Je n'attends rien de lui en échange. C'est juste cadeau-sentiments.
Fatoumata est rentrée à la maison avec son zébu. Le père, revenu de Tamba n'a pas posé de question. Il a incisé l'animal, le scarifiant à sa propriété avant de le mêler au troupeau, remerciant dieu. En oubliant Ange et Fatoumata...
La vie est une longue transhumance. Qui sait, sinon dieu, où iront les amoureux et les zébus pour trouver l'herbage vert et tendre de l'hivernage prochain?...

(illustration Gérard Leclaire)

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