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La Lorgnette du Margouillat

MONSIEUR GEORGES

MONSIEUR GEORGES

Nous l'appellerons "Georges". Il serait délicat de décliner ici sa véritable identité...
Georges est français! Fier de l'être! Inconscient qu'il est une caricature du portrait-type que l'on se fait de la plupart des gaulois de l'hexagone à l'étranger...principalement dans les anciennes colonies.
Georges est né à Montélimar à la fin de la dernière guerre mondiale. Du pays du nougat, Georges ne garde que de rares souvenirs d'enfance. Ses parents quittent la Drôme quand il a 8 ans pour monter à Paris. Plus exactement à Levallois-Perret. Banlieue de triste réputation; à forte immigration algérienne au départ.
A l'arrivée: "on y trouve de tout mais que du bon à rien", dixit Georges.
Georges s'est marié à Éliane; a eu deux filles et un yorkshire nommé Tarzan.
Passons sur sa vie, sa carrière sinon que celle-ci prend fin voici 4 ans. Retraité de chez Butagaz, Georges abandonne bonbonnes et "bobonne"! Éliane a fait son temps; il divorce en quelques mois et quitte femme, enfants, petits enfants et tarzan - 4ème du nom -  pour vivre sa vie, vivre son rêve: s'installer en Afrique!
L'Afrique, il ne la connait que par la télévision, les revues, les bandes dessinées et quelques voisins sénégalais de Levallois...
Georges débarque un soir d'hivernage à Dakar.
Il pleut sur Yoff et, dès sa sortie de l'aérogare, les saï-saï pleuvent sur Georges...
Il ne doit son salut qu'à un frère du cousin de l'oncle du taxidriver.
Direction le Ganalé. Hôtel que Georges a réservé pour deux nuits depuis Paris. Le temps de s'acclimater. Sinon que le jardin d'acclimatation n'est pas du tout l’Éden imaginé par Georges. On est à quatre mille huit cent kilomètres du métro Sablons...
Dakar grouille de monde, de taxis, de cars rapides, de camions, de charrettes, de clandos, de Jakartas, d'ambulants, de talibés, d'immondices, de guides, de vendeurs, de voleurs, d'antiquaires, d'hommes d'affaire, de Porsche Cayenne, de flics, de gosses, de vieilles, de gazelles, de putes, de vieux, de rapeurs, de tagueurs, de militaires, de convois de ministres, de fruits, de poissons, d'odeurs, de bruits, de funambules routiers, de porteurs, de dormeurs, d'ateliers de menuiserie, de dibiteries, de blocs de béton, de gravats, de poussière... Inventaire non exhaustif, loin de Prévert, plus proche de l’inénarrable, de l'inqualifiable; de l'inquiétant!
Georges est halluciné, attiré, dégoûté, curieux, envoûté, craintif, dubitatif.
Les flagrances du "temps béni des colonies" se mêlent aux parfums suaves de la réalité dakaroise d'aujourd'hui, plus d'un demi siècle après l'indépendance...
Badara, son sauveur-chauffeur du "Senghor" est réquisitionné! Il balade Georges dans Dakar. Rien ne lui est épargné. De la boucle touristique habituelle aux banlieues les plus typiques.
Marché Kermel à huit heures du mat', abattoirs à vingt trois heures. Café de Rome à midi, Cité Baraka à seize plombes.
Soumbédioune plage et marché, HLM6, corniche, Voile d'or, entrepôts Dem Dik, King Fahd, Loutcha et même les cagas de "la Sirène" à l'heure où les mosquées se taisent...
Il fait chaud à Dakar. L'air est pollué, Georges exténué. Aussi rouge que l'uniforme des gardes républicains devant le palais présidentiel, Georges s'assied à la terrasse du "paradise Food", rue Amadou Assane Ndoye. Badara l'a déposé là parce que sa copine habite à côté, que l'hôtel est à deux pas...et qu'il est fatigué.
A cet instant, Georges a trois envies, irrépressibles. Prendre une douche et se payer deux gazelles. Une blonde bien fraîche avec de la mousse et une autre qui émoustillera sa libido...
La cabine-douche de la chambre trois du Ganalé attendra! La serveuse du Paradise Food a de la Gazelle au frais et un cul d'enfer!
C'est la cousine de la serveuse habituelle. Il y a un décès dans la famille et Beyoncé tient le bar. Beyoncé, s'appelle en réalité Marème. Elle a dix neuf ans et est Lébou par son père, Mandingue par sa mère. Elle porte perruque rouge, jean lacéré et t-shirt moulant ventant tout autant la 4G Orange que ses deux pamplemousses fermes et hypnotisants...
Georges ne se sent plus de joie et, pour montrer son bel émoi, ouvre un large sourire, montrant qu'il est sa proie...
Un quart d'heure plus tard, Beyoncé ferme lumières et volet. Extinction des feux. Place à ceux de l'amour!
Le portier du Ganalé sourit et fait un clin d’œil complice au toubab de la chambre 3.
- Bonne soirée Monsieur Georges!
Georges sort un billet de dix mille et se dit qu'il est bien sympa ce portier! La téranga sénégalaise n'est pas une légende...
Beyoncé n'a pas pris une vraie douche depuis la korité. Refoulant les avances, les mains, les doigts, les lèvres et le gros ventre de Georges, elle reste près de quarante minutes dans la salle de bain. Georges est assis sur le lit. Il attend. Il échafaude, il gamberge, il fantasme...
Il a envie de prendre son pied, une douche et Beyoncé mais ne prend finalement que son mal en patience.
Le téléphone sonne dans la salle de bain. Il entend Beyoncé parler, rire. Pour Georges, le Wolof, c'est du chinois. La porte s'ouvre.
- chéri, donne-moi vingt millle, je reviens dans un quart d'heure, je dois dépanner ma mère, elle est tombée.
Chéri donne deux billets et, philosophe, se dit qu'en un quart d'heure, il a le temps de se doucher en attendant le retour de sa belle.
Sauf que la belle se la fait pour de bon, pour toujours et à jamais!
Georges tentera bien de retourner au snack le lendemain. Personne n'a jamais entendu parler d'une Beyoncé aux cheveux rouges...évidemment!
Badara vient chercher son client vers les midi. Georges raconte sa mésaventure à son nouvel ami-chauffeur-sauveur-confident.
- Ha mais, tu devais le dire que tu voulais une gazelle!
Deux heures plus tard, Georges se retrouve tout nu, tout blanc, tout content sous Mademoiselle Rose-Marie, catholique Diola, 23 ans, de Zinguichor.
Pour l'heure, tarifée, les tourtereaux folâtrent dans un meublé de Ngor. Georges ne verra jamais l'île, le joli bras de mer où glissent les pirogues multicolores sur le bleu turquoise de l'océan.
Il a fermé les yeux et la tenture est tirée...
Quand il émerge, Rose-Marie est partie avec 30.000, plus 10.000 pour le transport.
Badara attend au bar de la Madrague. son taxi garé sur la place. Georges demande, évasivement, le numéro de Rose-Marie. Le souvenir ému de leurs ébats réclame déjà des retrouvailles. Le chauffeur lui donnera un faux numéro.
Il n'a pas eu sa commission quand la belle est sortie du meublé... "Bosser dur pour pas gagner, c'est trop dur!".
Georges est heureux, repus, béat à l'arrière de la R19. Badara embarque son client pour une dernière visite touristique de Dakar. Ce soir, ils font route pour Mbour où Georges a loué une petite villa en résidence. Le temps de trouver une maison à acheter, d'aménager son nid sous le soleil du Sénégal.
Quand il reviendra au port de Dakar, réceptionner son container, Georges téléphonera à Rose-Marie. Elle sera heureuse de venir vivre avec lui...

(illustration Stephanie Ledoux)

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