Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La Lorgnette du Margouillat

LA CONCESSION DES VOISINES

LA CONCESSION DES VOISINES

Quand tu vis en brousse, dans un petit village, tu es entouré de concessions familiales.
Le bled du vieux lézard s'est articulé anarchiquement autour d'un baobab, voici plus de cent cinquante ans.
Le hasard, les guerres de royaumes ancestraux, les disputes de voisinage, de familles sont souvent à l'origine de la naissance de nouveaux lieux de vie.
L'errance mystique est quasi toujours source d'un nouveau village, d'un hameau même. Un signe de dieu, un arbre, un point d'eau...
Du moins, avant que l'ordonnance, la législation, l'urbanisme, l'administration ne viennent fourrer leur nez dans la liberté de vivre là où bon nous semble...
Lazare demeure en bordure du patelin, sur la piste des champs, de la forêt. Nous sommes trois ou quatre concessions. Mes voisines vivent dans des cases en blocs, en paille avec toiture en palmes de rônier.
Les femmes cuisinent à l'ombre du baobab pendant l'hivernage, du neem quand le seigneur des arbres est effeuillé...
Les marmites, sur le feu de bois, sentent l'oignon, la sauce ou la lessive. On rit, on palabre, les petits jouent, pleurent, crient. Le chien aboie, l'âne brait, le Jakarta du grand passe déposer une cousine.
La cour d'une concession, c'est la vie, un fourmillement d'activités. Dès l'aube, on va au puits chercher l'eau. Le tintamarre de la vaisselle couvre le cocorico du coq frustré de se faire voler la vedette.
"Plus aucun respect pour le réveil matin!"
On lave les petits dans la grande bassine. Plus ça mousse, mieux c'est! Plus ça frotte, plus ça crie! Chacun attend son tour, plus ou moins sagement...
Puis, c'est départ pour l'école, par ruelles et pistes. À pieds où en charrette. Souvent, le petit déjeuner s'achète "en route" chez une banabana devant l'école. Mbourou choco ou mayo. Parfois une friandise...
En saison, on maraude une mangue, un fruit d'anacardier, un agrume.
Une jeune fille, une Maman garde les tous petits pendant que les femmes vont aux champs, au marché, faire un ménage, trouver un travail... Parfois, seul un vieux dort sous la paillote. Tout le monde quitte. Il y a une fête, un baptême, un décès. C'est rare, étrange même de ne rien entendre, rien humer. Comme si la vie s'arrêtait soudain.
Le soir, ceux qui ont l'électricité allument une timide lampe pour préparer le repas, laver le linge, encore, toujours. Les autres se fient au feu dansant, à la lueur d'une téléphone portable, d'une torche si les piles ne sont pas fatiguées...
Parfois, Monsieur Djembé s'en vient rythmer lentement la soirée. Un gosse qui tape, un ado qui répète pour la chorale. La charrette est rangée, le cheval, l'âne se reposent enfin.
Celles qui ont un peu de crédit téléphonent, regardent Pod et Marichou, un clip de Thione Seck avant d'aller se coucher - tard - fermer la case tant bien que mal avec cette foutue porte en tôle qui a claqué toute la journée, fatiguée sur ses gonds de fils de fer maladroitement bricolés...
Le vieux lézard aime sa solitude. Mais, sans mes voisines, le bonheur de vivre ici n'aurait pas la même saveur.

(illustrateur inconnu)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article