SAUTE REPAS

Il est des réalités d'ici que peu de toubabs entrevoient. Ne soupçonnent même.
Je m'exprime vis à vis de la quasi totalité des TAI (touristes all in) à qui on fait avaler Gorée, Soumbédioune, lac rose, arrivée des pêcheurs à Mbour, île aux coquillages, aquagym salsa, buffet téranga et karaoké piscine.
Même à une majorité de GRS (gentils résidents salysiens) qui rarement s'aventurent au delà de Somone et Niakh Niakhal. Ceux qui ont troqué métro, boulot, dodo contre bistro, resto, Casino.
Notez que même sur la Petite Côte, la faim, le manque ne sont pas rares pour peu qu'on pousse une porte. En banlieues, en brousse, c'est plus que parfois "saute-repas".

C'est en riant tendrement qu'une Maman raconte son stratagème quand il n'y a même pas cent francs pour faire diner les enfants.
Tante s'assied sur la natte de chambre, sur le mousse de matelas, rassemble les ventres vides et raconte des histoires. Pendant ce temps, Maman, en cuisine, fait semblant. Fait jouer les sons des casseroles, du pilon, des gamelles. Mélodie d'un repas que l'on prépare...

- Tante, on a faim!
- Maman prépare mes chéris, le diner n'est pas encore prêt. Je continue l'histoire de Kirikou et Salimata...

Maman s'active à poursuivre les bruits de cuisine jusqu'à ce que les petits sombrent dans le sommeil. La faim est passée. Le "qui dort dine" a, cette fois encore, fonctionné.

Autre anecdote.
Il n'y a rien à manger et le porte monnaie est vide.
Maman, avec foi et rire décrète "Ramadan surprise!"
Les petits se lèvent; prières, ablutions. On sort les beaux habits de fête, les jolies chaussures, on se coiffe belle et...on jeûne du matin au soir!
D'ici le ndogou - coupure du jeûne - Maman essaiera de se débrouiller, gagner quelques xaalis, de quoi donner à manger aux petits affamés...

Ne pas juger, surtout! Ici, on vit ainsi! C'est Sénégal et basta!

Dédicace à Mariama qui nourrit tant de bouches...
Illustrateur inconnu (la Lorgnette ne fait pas dans le misérabilisme)