BARÇA OU BARSAQ

"La dernière vague de migrants clandestins sénégalais est en passe de faire plus de morts que la catastrophe du Joola."

Bamba n'a pas trente ans. Il survit en Espagne depuis plus de trois ans.
Sans papiers, il est exploité dans le maraîchage. Il se cache; dort dans un hangar infect avec quelques dizaines de frères d'errance. Ce n'est pas la misère, c'est pire.

Un matin, bien avant l'aurore, Bamba quitte la concession familiale de sa belle famille. Une simple case de seize mètres carré, murs en blocs, toit en palmes de rôniers, porte en tôle. Ami, sa toute jeune épouse, enceinte, dort avec leur fille d'un an et demie sur un mousse bleu sans draps. Il ne la réveille pas.
Il passe saluer sa famille. Outre les quatre cent mille francs collectés pour les passeurs, son père lui tend une enveloppe. Cinq cent mille. "pour démarrer à Barca"...
Vers dix neuf heures, il téléphone à Ami.
" Je suis à Dakar. Je quitte. La pirogue de Soumbédioune part à vingt et une heure. Je t'appelle quand je suis arrivé". Il raccroche, coupe son portable.

Bamba n'a jamais parlé de son projet. Pas un mot depuis, qu'avec les siens, il échafaude son départ.

Les jours passent. Un soir, l'un des frères s'en vient saluer Ami. "Ton mari est bien arrivé. Il téléphonera bientôt."

J'ai la pudeur de ne pas entrer dans les détails. Sinon qu'un matin, Ami a vidé son sac. Elle rentrait de la case santé avec son petit garçon qui venait de naître. Nous avons partagé nos larmes.
J'ai gardé pour moi seul ma colère...
Pudique, taiseuse, courageuse et fière, Amy me parle peu de son mari envolé.
"Il va bien".
- Il t'aide ?
- Un peu...

Quand je vois dans quel dénuement vit ma voisine, J'ai envie d'hurler.
- Il rentrera un jour...
- Non.
- Tu le rejoindras ?
- Non.

Une "veuve" de vingt quatre ans, prisonnière du village, d'une chape de surveillance, de silence. Deux petits "orphelins" qui aiment beaucoup les tangal (bonbon) de Tonton Lazare.

illustrateur inconnu