LA BOITE NOIRE

Ce matin, dès potron-minet, je hèle un taxi-clando pour me rendre à un rendez-vous. Le goudron est roulant à cette heure.
Pourtant, au rond-point, une Logan agonise, les quatre Michelin en l'air. De l'autre côté de la nationale, un car rapide, la gueule de travers, fume et peste du choc avec la Dacia.L'accident n'a, cette fois, fait aucune victime. Allahu akbar!
Assis à l'arrière du 7 places Nevada, compressé entre une grosse dame qui sent le patchouli et un mécanicien graisseux, la conversation s'engage. Le chauffeur me prend à témoin.
- Le gars là, il a gagné son permis dans un bidon de Niinal...
On devrait faire comme chez toi, en France: permis à point!
Tous les jours je vois des accidents, des cadavres. On ne respecte rien ici!
Étonné d'abord de la réaction de mon chauffeur - la plupart des taxis conduisent comme des cow-boys - je lui donne l'information lue hier sur le net, comme quoi, en Toubabie, on envisage d'obliger les constructeurs à inclure une boite noire dans chaque véhicule.
Là, mon interlocuteur se frappe le front sur le volant et ne parvient pas à freiner un fou-rire qui va durer, durer...
- Une boite noire!?! hiiiiiiiiiiiiii!
Ici, on va mettre une boite toubab alors!
On y verra plus clair quand il y aura un accident...
Il délirera ainsi jusqu'au stade Caroline Faye, passant en revue les accommodements techniques que le permis à point et la lecture des boites noires nécessitera au Sénégal.
J'avoue que, malgré l'évidente évolution de ce pays, je n'imagine pas encore comment gendarmes, policiers et magistrats pourront désosser administrativement et technologiquement ces deux mesures à venir.
Heureusement, ici, au Sénégal, tout prend du temps et je serai certainement cadavéré avoir de voir ça...
Avant de descendre du clando, le petit mécanicien, qui n'avait jusqu'ici pas pris la parole, lança en donnant ses 200cfa
- Tes boites noires là, tu viens à l'atelier, on t'arrangera ça quoi, amoul problem...
Ayant une grande foi en la débrouille, au génie sénégalais, je ne mettrais pas ma main sous la machette que mon gars ait tort...

(aquarelle Karin Arnou)