UN SOIR COMME LES AUTRES

Il est 23h. La rue est calme, presque silencieuse si le menuisier métallique ne disquait encore un dernier grillage.
A la dibi, le grilleur surveille d'un œil son étal. L'autre est occupé à gober RTS...
La braise couve. La viande pend. Un fumet malicieux tente de me convaincre. Sans mérite, j'ai faim!
Le rappeur de la télévision est zappé; un client passe toujours en priorité; c'est lui la vedette!
-"ça va durer un peu"
-"Amoul solo Grand, j'ai mon temps"
Alors, pendant que mon mixte de zébu et mouton se dore la pilule et se laisse lécher la couenne, on parle.
Adama se lamente sur la pauvre fréquentation, sur le prix du charbon, sur sa femme qui le fatigue, sur la mairie qui a coulé un trottoir qui va tout inonder quand l'hivernage sera là.
Le lampadaire s'est éteint soudainement. Le goudron retombe dans le noir. Seules les petites flammes éclairent encore notre dialogue. Un clando klaxonne, tous phares éteints, il cherche le client dans la nuit.
Un vieux en djellaba lève la main; son Jakarta est en panne. Hissé sur la galerie du taxi, sanglé sénégalaisement, le clando démarre, s'enfonce dans la nuit. Il y a sûrement un mécano qui dort d'un œil vers Mbour...
Mon dibi est prêt! Emballé dans un papier douteux avec moutarde et mayo. Mon petit billet de 1000 suffit, c'est pas grave...
Le paquet est brûlant, odorant. Je prends la piste à pied, mes doigts sont déjà en train de picorer un morceau de mouton.
Entre les pirogues et le lavoir, je regarde la mer qui scintille sous un croissant de lune timide.
Tranquille, heureux, gourmand de ce pays et de ces instants inqualifiables de plaisirs.