NIO FAR, AILLEURS

Les célébrités ont droit à une couverture médiatique, aux larmes de millions de personnes, aux hommages, aux discours, au souvenir indélébile.

Un petit bonhomme de six ans a été porté en terre. Il s'appelait Adama, il vivait avec ses frères, ses sœurs, sa famille dans une modeste concession au bord du tan, à quelques centaines de mètres du fleuve Saloum.
Il allait à l'école, jouait, riait, pleurait, vivait son enfance jusqu'à ce qu'un moustique égaré dans une moustiquaire trouée ne vienne prendre sa vie.
Saloperie de palu!
Une jeune femme de dix neuf ans, anonyme réfugiée dans une embarcation honteuse de migrants-marchandises s'est noyée au large de la Libye. Elle fuyait l'esclavage. Entre autres...
Saloperie de mercantilisme monstrueux, abject, inhumain!

J'ai lu un très joli texte ce matin. Le dialogue imaginaire entre Jean d'Ormesson et Johnny Hallyday "là haut".
Savoureux, drôle, crédible:

"- Que faites-vous là ?
- J'ai rendez-vous avec Tennessee Williams...
- Moi aussi, il me reste quelque chose de lui
- Et vous ? Qu'êtes-vous venu faire ici ?
- Un jour j'ai écrit '“Dans une éternité et un infini qui sont fermés à jamais aux êtres dans le temps, Dieu est le nom le plus commode pour le néant et pour le tout." Alors je suis venu voir si IL était là ! Mais je ne l'ai pas encore vu.
- Vous savez, je vous aime bien mais quand j'étais encore vivant je me méfiais un peu de vous.
- Ah bon pourquoi ?
- Dans la liste de mes citations célèbres, il y a celle-ci : "Je me méfie des gens trop heureux : ils doivent avoir des choses à cacher." Et vous, vous aviez l'air tellement heureux !
- Pas sûr ! Un jour j'ai déclaré : "C’est ça qui me fait peur dans le bonheur: l’usure, la lassitude, l’effilochage." Alors vous voyez ?
- Et maintenant qu'allez-vous faire ?
- D'abord j'attends pour voir s'il joueront "Requiem pour un fou" pendant mes obsèques.
- Ça aurait de la gueule !
- Et puis je vérifierais si "j'ai oublié de vivre" mais je ne crois pas. Au contraire !
- Tu devrais lire mes ouvrages. Tu m'as l'air un peu paumé ici. Commence par "Le Guide des Égarés" et surtout bouquine vite "Je dirai malgré tout que cette vie fut belle."
- Merci Jean ! Et toi écoute mes chansons "toute la musique que j'aime" et aussi "Qu'est-ce qu'elle a ma gueule". Surtout ne le prends pas pour toi; ah que je rigole !
Merci Johnny! Bon séjour ici. On se reverra, à bientôt!"
   
Alors, le Margouillat a tendu l'oreille, la Lorgnette a scruté le ciel.

"- Bonjour! Tu t'appelles comment?
- Adama! Et toi?
- Aminata.
- Pourquoi on est là? Même pas eu le temps de trouver des khalis pour me soigner.
- C'est la vie! C'est dieu qui l'a voulu.
- Ouais...
- Ici, on va oublier l'amertume, l'injustice aussi. Tu es d'accord?
- Tu veux bien être ma Maman ici? Tu as des enfants?
- Pas eu le temps! Bien-sûr! Donne-moi la main, nio far Adama!
- Merci Aminata! Pardon, merci Maman.
- Niokobok mon fils. Viens! On a l'éternité devant nous..."

(aquarelle Richard Vanlerberghe)