LE BASCULEMENT

Je ne sais pas trop comment vous expliquer un phénomène que j'ai découvert il n'y a finalement pas si longtemps au sujet de ce pays, le Sénégal.
J'appellerai ça, le "basculement".
En sciences fiction, on bascule dans un autre monde. Une autre galaxie. Un point de non-retour. Une sorte de renaissance dans un autre univers.
Une planète dont on aurait rêvé qu'elle existe, qu'elle soit atteignable, vivable et drôlement plus agréable finalement que notre bonne vieille terre usée, abusée, désabusée.
En mode fantastique, on bascule également dans un autre monde. En traversant un miroir, un fond sombre de garde-robe ancestrale. En nageant dans le siphon d'une grotte submergée qui vous révèle, vous jette soudain sur une plage, un nouveau continent, un machin-truc-bazar parallèle vachement accueillant.
Ça va, vous me suivez?

Un beau jour, vous débarquez au Sénégal. Vous êtes toubab. Quelle que soit la raison de votre voyage, vous êtes là.
Vacances, boulot, obligation quelconque, hasard.
Presqu'instantanément, vous adhérez ou vous rejeter. C'est souvent ainsi.
Ceux qui restent, ceux qui reviennent ont déjà leur premier ticket, le premier point pour participer au "second tour". le "basculement"
Arrive alors une seconde phase. On reste, on revient...et on découvre vraiment! Lentement ou avec frénésie, passion. On bouge, on rencontre, on visite, on se coltine le pire et le meilleur.
Les sédentaires s'enferment dans leur confort résidentiel mais ils s'incrustent, ils s’enracinent. Ils adoptent, se laissent adopter, apprivoiser quelle qu'en soient les raisons. Insidieusement, ils se coulent dans l'un des moule de vie d'ici.
Je généralise bien évidemment! Chaque cas est particulier, chacun a ses raisons, ses obligations, ses disponibilités, son mode d'acclimatation, aussi.
Vous découvrez peu à peu, petit à petit, les réalités du Sénégal. ses paradoxes, ses hontes, ses merveilles. Ses qualités, ses défauts.
Une balance inconsciente s'installe en vous. Un greffon.
Peser le pour, le contre, le bien, le mal.
Plaisirs, bonheurs, malheurs, horreurs.
Racket, corruption, saleté, magouilles, vols, agressions, traitements inhumains, coupures électriques, d'eau. Débit internet, faiblesses téléphoniques, coûts, soins, anarchie, circulation routière, comportement, obscurantisme, etc...
Ceux qui s'enferment là dedans ne basculeront jamais! Ils peuvent jeter leur ticket de participation. Définitivement!
Ils ne font pas le poids sur la bascule...
Qu'on les traite de naïfs, de candides, de Bisounours, d'aveugles, de trop bon samaritain, de broussard indécrottable, de bourlingueur, de sauvage, de vieux sage, de courageux, d'intrépide, de brave et gentil... cette autre catégorie est également confrontée aux réalités de ce pays. Différemment s'entend.

Vous vous dites "Mais où il veut en venir le vieux lézard aujourd'hui, avec son "papier" à la noix !?!"
J'y viens! Le basculement!
Un jour, sans crier gare, sans même vous en rendre compte et malgré votre vraie lucidité de ce que montre et cache ce pays, vous savez!
Vous savez que vous êtes mieux ici qu'ailleurs! Vous savez que c'est définitif, avalé, digéré, composté, cacheté, plié, irréversible!
Ce que vous étiez obligé de vivre, de subir, de s'indigner dans votre pays d'origine... vous savez le vivre mieux ici!
Malgré "TOUT"!
Vous avez basculé!
Votre lucidité a fait pencher la balance du côté "Là, c'est bon là!".

J'avoue ne pas être certain de m'être bien fait comprendre... Sinon que, pour le Margouillat, c'est sûr et certain, il est un Basculé!

(aquarelle Guillaume Confais)