SOUVENIR GLAUQUE

Cette histoire est très ancienne. Les ans ont édulcoré le malaise, dilué le mal-être. Pas la colère, ni le dégoût.
Vous ne l'imaginez sans doute pas mais, le vieux lézard, pour des raisons familiales et de méconnaissance du pays, achète, fin du siècle dernier, une case en résidence, à Saly.
Ce ne sont alors que cinq ou six maisons modestes chahutées par un chantier qui s'avèrera gigantesque par la suite. L'ambiance est assez sympathique entre les quelques propriétaires et les dizaines d'ouvriers qui s'activent à construire des villas de plus en plus boumak...
Lazare, sa tasse d'ataya n'est déjà pas de glander sur un matelas de plage ou trainer de terrasses apéritives en bord de piscine commune et ambresoleillée...
Mes potes, ce sont les maçons, les menuisiers, les pailleurs, les jardiniers. Mes copines, les "Fatous". Quel terme détestable!
Un matin, je découvre une petite dame assise sur le sable, à quelques mètres de la maison. Elle trie des coquillages qui seront ensuite pilés et coulés béton pour tracer une allée en coquillés entre les jardins.
Un bébé, une petite fille est accrochée dans son dos. Ravagée par une maladie de peau pour le moins horrible.
Je m'inquiète mais la Maman ne parle pas français. Mon copain électricien, Pape, joue les traducteurs.
Pas de papa, un enfant du péché qui porte le diable sur la peau: Mamie est chassée de la concession familiale, du village. Les ouvriers du chantier ont pitié et l'introduisent clandestinement pour faire ce travail ingrat. Salaire: 800fcfa par jour...
La petite a besoin de soins. Les deux ont besoin de manger.
- Vous soignez ma fille, je vous la donne.
Inutile de vous expliquer le trouble, la tristesse, la pitié, l'émotion, les impossibilités. Sauf celle d'aider, de soigner!
Je sais un médecin venant chaque jour faire une piqure d'insuline à un voisin. Je lui demande discrètement de venir diagnostiquer bébé Aminata.

La crapule s'en est allée dénoncer la présence de la Maman et de sa fille molluscumée au promoteur...
Le Margouillat a été placé en quarantaine dans la résidence. Non pas par risque de contagion.
"On veut pas de ça ici, chez nous!"
Nous n'avons plus jamais eu de nouvelles de Mamie et d'Aminata, chassées sur-le-champ, manu-militari.
Peu de temps après, j'ai vendu la maison de l'erreur et j'ai pris le même chemin.
Là, chez ces gens là, ce n'était pas le Sénégal.

(aquarelle Miki de Goodaboom)