Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La Lorgnette du Margouillat

ÉMOTION FORTE

ÉMOTION FORTE

En préparant mon exil temporaire, en rangeant un temps soit peu Mbin Diakar, je retrouve, au fond d'une caisse en carton, une farde emballée de neuf, contenant papier à lettres et enveloppes joliment imprimées.
Un "cadeau toubab" sans doute oublié, non offert, préservé de la lumière et de la poussière depuis des lustres.

Lazare vit au milieu d'un petit hameau, non loin du village. Six concessions familiales dont une louche de mômes; une quarantaine de monstres merveilleux de tous âges.
Seul toubab, le Margouillat, c'est "Tonton". Adoption instantanée ! Seuls certains bébés ont eu la prudence de toucher la peau blanche, tirer la barbe et s'habituer à Olof avant de me grimper sur la couenne.

Parmi la bande, une gamine de treize ans. Mignonne sans être belle, trop jeune encore pour penser à tester sa séduction...
Sa grande sœur porte le titre envié de "dame ménagère" du vieux lézard. Ce qui procure à la fillette l'avantage d'avoir le privilège de fréquenter ma case pour mille raisons dont celle d'apporter le dernier bébé en date afin de recevoir le sein maternel durant son service.

La demoiselle est curieuse, perpétuellement en quête de boisson et de nourriture.
- Lazare, il te reste du pain ? Tu n'as pas de Nutella ? Tu me donnes un paquet de pâtes, de couscous ? Une bouteille d'eau, du Coca, du vin pour mon père ? Tu fais quoi à l'ordinateur ? Je veux une banane...

Il lui arrive de prendre le balai, d'aider sa sœur tout en m'offrant un concert de djembé, un solo de balafon, une "virtuosité" de tama... Trop d'instruments chez le vieux lézard !

Elle danse, caresse Olof, sommeille dans le canapé sous la paillote, cueille des fleurs, ramasse des pains de singe au jardin, pose un million de questions...

Le matin de mon départ, sa tête tressée savamment dépasse du mur. Comme d'habitude, elle a déplacé un bloc de béton sur la piste pour se hisser et montrer sa frimousse, me héler.

- Je peux entrer ? J'ai soif et j'ai un cadeau pour toi.

Elle me tend une enveloppe provenant du présent que je lui avais fait; la farde de papier à lettre imprimé.

- Tu l'ouvriras quand tu seras rentré, pas avant hein ! Tu triches pas !

Bien évidemment, le reptile a triché...

Dans un français simple mais sans faute, avec une jolie calligraphie, la petite m'a offert des mots, des larmes sur les joues, une émotion inexplicable.
Une justesse de sentiments, une justification bouleversante d'un "je t'aime bien" magistrale, vraie, pure.
Aucune tristesse, aucun regret de me savoir m'en aller; simplement le plaisir qu'elle a eu de croiser ma vie. Un merci simple et délicat.

En quittant le village, à la clôture de sa concession, elle m'a souri, lancé les bras en l'air en agitant ses petits doigts. Heureuse de m'apercevoir encore.

Je relis souvent sa lettre; je revois nos rencontres, cet "au revoir" sans le moindre doute, évident.

illustration Mary Whyte

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article