SALANE

"Le vomi quotidien de la planète patauge dans la glaire des news"

Ici, au Sénégal, il est de coutume, de tradition, d'habitude - de religion parfois - de cracher. Souvent avec la douteuse élégance d'un jet entre les dents.
Le lézard se plaît à y voir le rejet des mauvaises mastications des médias. Je peux me tromper...
Sinon qu'en observant les rires et sourires, la bonne humeur, je me dis que malgré un quotidien compliqué, les gens savent encore vivre en préservant l'essentiel, sans être submergés par les chaos de la planète.
Il est des leurres et du labeur qui permettent d'encore être heureux. Malgré tout.

Salane est une femme Sérère d'une quarantaine d'années. La belle célibataire a déserté l'école dès ses onze ans pour s'occuper de la famille, des frères, des sœurs, des parents, des tontons et tantes. Plus de vingt cinq âmes vivaient dans la concession à l'orée du hameau.
A seize ans, elle a perdu l'enfant d'un viol.
Au village, seul le vent évente ses secrets entre les palmes de rôniers...

Sans jamais la toucher, un veuf du Périgord s'est rapproché de la jeune femme. Il avait besoin de ce qu'on nomme vulgairement une "Fatou" sur la Petite Côte.
La famille y voyant une chance d'argent et une bouche en moins à nourrir, Salane fut confiée au vieux toubab.

Quand le Bergeracois s'éteint, il lègue sa modeste maison à Salane. Mais aussi, un vaste verger.
Le jeune femme réussit à conserver son bien malgré famille et prétendants. Un parcours épique...
Avec l'aide de journaliers fidèles et corrects, son lopin de terre produit tant et si bien que Salane peut aujourd'hui s'enorgueillir d'écouler sa production maraîchère dans divers étals et boutiques de trois villages de l'arrondissement.

Une vie correcte et courageuse, une tendresse admirative efface en moi toute réprobation à la propension de Salane à être, sans doute, la recordwoman du jet de salive...

illustration Denise Jouve