NABA

Naba a trente ans. Musulmane, Sérère, célibataire sans enfant.
Elle vit entre la concession de son amie, proche de son lieu de travail, et celle de sa famille, à une quinzaine de kilomètres de là.
Le transport est aléatoire, cher, fastidieux, fatigant. Alors, on se trouve une petite chambre pas trop cher. On travaille avec des horaires fluctuants, un salaire minimum vital, quelques pourboires...
Chaque franc est économisé. Au centime près.
Le père est mort, la cadette est encore à l'école, le grand frère est retraité, fatigué, alcoolique. Maman est âgée, la grande sœur est partie à Dakar avec son mari.
Et puis, il y a un tonton, deux tantes, des demi frères et sœurs, des factures Sénélec...
L'âne est mort en mars. Il faut changer la paille des cases avant l'hivernage, acheter du riz, du mil, du charbon.
Nourrir les poulets avant la korité, le mouton avant la tabaski.
Alors, Naba aide! Envoie un Wari, accepte des ménages après la descente, monte aux champs quand on lui octroie un jour de repos...
La pression familiale.
- Tu as trente ans, pas encore de mari. Pas d'enfant! Tu nous fatigues là! On va te marier!
Naba tempère, promet, reporte, tergiverse, manigance. Attend.
Naba attend l'amour qui passe.
Entre la mosquée et le goudron, elle a acheté une parcelle. Moulé les blocs, monté les murs. Semé, planté.
Demain, elle aura des citrons, des pamplemousses, des oranges. Un manguier, un neem pour la fraîcheur.
Une petite cousine arrose, chaque jour avec l'eau du puits, tiré à la corde.
Ce sera sa maison! Sans pression, sans mari, tant pis! Libre, trankil!
Juste le vœu d'un petit. Un tout petit. Un bébé qu'elle fera toute seule, si Allah le veut ainsi.
Marron, métis, elle s'en fiche Naba!
Il faut juste encore des khalis pour faire le toit, acheter un matelas, un frigo.
Ce sera l'année prochaine. Ou la suivante.
Naba est belle. Intérieur-extérieur! Quand elle rit, c'est tout le bonheur du monde qui brille sur le nacre de ses dents.
Naba est gourmande de vie, d'indépendance. Une lionne qui mord avec force, courage, détermination. Sa belle vie qu'elle construit pas après pas, jour après jour. Et, tant pis si les nuits solitaires sont douloureuses parfois.
Un mauvais mari, ça fait encore plus mal...
Il arrive, ici, au Sénégal, de rencontrer des gens à qui on tend la main. Pour simplement les remercier de les avoir croisé, apprendre d'eux, échanger. Les encourager aussi.
Parler des rêves, ça les attire.
 
(aquarelle Catherine M'Boudi)