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La Lorgnette du Margouillat

MARIE DE POPENGUINE

MARIE DE POPENGUINE

Voici quelques mois, j'ai rencontré un artiste peintre. Un toubab retraité sympathique qui me raconta une bien jolie histoire.
Le Margouillat s'est chargé de sa rédaction.

Plage de Popenguine. Il doit être onze heure du matin.
Le soleil monte au zénith. La mer est d'huile. Je suis assis, le cul dans le sable, devant le restaurant "L'écho Côtier". Je regarde la plage, l'océan, la falaise.
A quelques mètres de moi, une horde modeste de toubabs vient d'arriver. L'apéro sur les transats rouge va être matinal... J'aurais aussi aimé m'y vautrer. Trop cher le Fanta ananas pour mes fesses!
Cheikh a déjà installé ses sculptures d'oiseaux. Il me fait un signe amical, un sourire. Je lui souhaite de vendre aujourd'hui. Hier, il n'a pas fait un cfa. C'est Sénégal!
Quelques gosses passent; ils jouent avec un gros bidon de plastique. C'est comme ça qu'on apprend à devenir Fadiga ou Bokandé.
Une petite fille suit timidement, quelques mètres en retrait, les dribbles, les passes et les shoots des garçons. Leurs rires, leur plaisir ne semblent pas l'atteindre. Elle est vêtue d'une robe courte, rouge à petits pois blancs. Ses cheveux sont tressés, constellés de minuscules perles de toutes les couleurs. Elle est si belle! Semble "ailleurs"...
Je la regarde. Nos regards se croisent. Elle vient vers moi. S'arrête à deux pas de mes pieds nus. Timide, elle me regarde pourtant dans les yeux, m'observe encore un instant, puis, me salue avec une petite voix douce: "Bonjour Monsieur".
Je lui réponds en Wolof "Malekum salam! Noo Tuddu?"
- Je m'appelle Marie. Vous ne parlez pas français?
Je suis étonné. Je balbutie "heu, oui! Si si!". Il est si rare qu'un enfant aborde en français, vouvoie avec tant de douceur, de politesse.
- Tu parles bien le français pour ton âge! Je te félicite! Tu vas à l'école, ici, à Popenguine?
Je suis stupide! La gamine doit avoir six ou sept ans et, même si elle était scolarisée, elle n'aurait pas ce niveau et cette absence d'accent...
- Je ne vais pas encore à l'école. J'habite ici avec Tonton Georges.
Je devine une situation particulière et, avec délicatesse, ma curiosité va m'offrir une histoire singulière. Enrichie, éclairée ensuite par "Tonton Georges"
Marie est Lébou. Elle s'appelle en réalité Tiné. Elle va avoir 6 ans. Elle vit dans une jolie case, modeste mais confortable. La maison de "Tonton Georges", ancien diacre belge, venu au Sénégal voici 20 ans pour assister au pèlerinage annuel à la Basilique Notre-Dame de la Délivrande. Il n'est jamais reparti. Marabouté sans doute par la vierge noire...
Georges ne s'est jamais marié. Pour l'avoir souvent côtoyé depuis ma rencontre avec Marie, je sais que ce vieux toubab est ce que l'on nomme un "brave homme". Sain!
Côtoyer Dieu ne l'a accablé d'aucune faiblesse. Malgré, je l'avoue, un à priori compréhensible, j'ai pu rapidement évacuer toute suspicion sur une éventuelle perversion.
Il aime la Petite comme un grand père attentionné, attentif. Et, tellement plus encore au vu de la situation.
La maman de Marie s'est enfuie de Guet Ndar après avoir été violée par un vague cousin.
Armateur fortuné de Saint Louis, âgé et influent, cet indélicat personnage réussit à retourner son crime contre sa victime. La parole d'une jeune femme de 17 ans ne pèse pas bien lourd face à un gros propriétaire de pirogues de haute mer qui fait travailler des dizaines de familles ...
Battue par ses frères, ses parents, ses oncles et tantes, rejetée par ses sœurs, Combé quitta la concession avant que les aiguilles à tricoter de l'avorteuse ne passent la porte...
Si on peut deviner l'errance précaire de la Maman de Marie, on n'attrape le fil de son chemin de croix qu'à la dernière station, celle qui la voit entrer dans le presbytère de l'abbé Dominique.
Pudiquement, Georges me racontera l'accueil de Combé à la maison des femmes. Le ventre enfin serein qui gonflait doucement. Sœur Joséphine, une religieuse de Kaolak née en France, qui s'était donnée pour mission évangélique de gérer le ménage de la case d'accueil des filles-mères - ainsi que celle de Georges - noua le lien et le sort de Marie.
Combé, malgré les soins, les prières de la sage-femme et la présence du docteur Diouf, mourut en couche.
Marie fut adoptée, soignée, câlinée, choyée par les femmes, les mères du quartier vers Cap de Naze.
Sœur Joséphine ayant sa chambre voisine de la maison de Georges, c'est, au fil du temps et tout naturellement, que la Petite se retrouva confiée à ces deux anges gardiens.
Sénégalaisement, l'administration se soucie peu des "cas particuliers"... Ainsi donc, Marie grandit dans le quartier, entre Tata Joséphine, Tonton Georges et le voisinage.
En Octobre, Marie sera scolarisée. Thomas et Mariama sont instituteurs. Ce jeune couple d'enseignants va doucement prendre le relais de Joséphine et Georges. Ils n'ont pu avoir d'enfants hormis ceux de l'école paroissiale.
Depuis quelques temps, les quatre adultes ont offert à Marie une sorte de passage, une construction familiale sereine pour la petite.
Depuis notre première rencontre sur la plage, je revois régulièrement Marie. Elle semble heureuse, épanouie. Je fréquente également son cercle familial, le quartier. J'y ai installé mon modeste atelier de peinture.
Souvent, de mémoire, je peins le visage de Marie. Mon pinceau et mes doigts parviennent, petit à petit, à apprivoiser ses traits. Ces toiles-là, je ne les vendrai pas. Jamais! Elles seront mon modeste héritage pour cette petite fille. Quand elle sera grande, quand elle regardera vers le ciel pour me parler, un peu, parfois...

(illustration Guy Jay)

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