MARCEL LE POMPISTE

Marcel est pompiste à l'essencerie sur le goudron.
J'aime cette appellation: "essencerie"! Même si pour la Vieille Anglaise, ce serait plutôt "gasoilerie"...
Ce mot est tellement plus authentique, plus chantant que "station service" qui, entre parenthèse porte très mal son nom en Toubabie!
Quel service? Vous devez sortir de votre véhicule, enchâsser votre carte de crédit dans la fente ad-hoc, ouvrir votre réservoir, décrocher le tuyau, ajuster le révolver à carburant et appuyer de longues secondes sur la gâchette avant que votre réservoir ne dégorge.
Remettre l'engin en place, rebouchonner votre réservoir, vous essuyer les mains au distributeur à Sopalin avant de reprendre le volant.
Ici, c'est autre chose!
Vous arrêtez votre engin motorisé, vous descendez de la voiture pour saluer Marcel, lui demander comment il va. S'enquérir du rhume de Mohamed, son petit dernier.
Marcel fait de même. Sinon que ma petite dernière a 31 ans...
Il observe My Old Lady, en fait le tour, s'inquiète.
- Elle va bien hein!?! Toujours en forme! Bientôt trente deux ans ton Def!?! Ça c'est de la voiture!
On palabre. Le gosse en Jakarta attend, tranquille. Il sera servi, inch Allah.
Je lui tend la clé du cadenas.
Il faut vous dire que ces ancêtres avaient juste un clapet vertical pour masquer le bouchon de réservoir. Amoul clé!
En ce temps-là, on ne volait pas le carburant, encore moins au royaume d’Elizabeth!
Désormais, même ici, au Sénégal, il est conseillé d'apposer une certaine protection à votre bouffeur de khalis...
Marcel est aux manettes! Remplissage, nettoyage du pare-brise, coup de chiffon sur la goutte éventuelle qui aurait pu tacher la peinture fatiguée du Land Rover.
Quelques instants de palabre, de sourire, de rire souvent.
Quand Marcel me rend la clé, je l'échange contre un billet de dix mille et une pièce de cent francs...
On se salue, on se dit à la prochaine, inch Allah.
C'est l'essence même de la vie, de la rencontre, de l'échange. Du bon temps, du plaisir à croiser l'amabilité.
C'est Sénégal!

(aquarelle Gérard Lepelleux