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La Lorgnette du Margouillat

BIGUE ET NGONE

BIGUE ET NGONE

Mon nom est Ngoné. Je suis née dans une concession Sérère, à quelques baobabs de Ndiaganio. Voici 17 ans.
Mon père et mon grand père ont toujours travaillé aux champs. Ma mère, ma grand-mère également. Ainsi que mes deux frères et mes deux sœurs.
Nous avons un cheval, une charrette, une charrue. Grâce à un oncle qui a gagné de l'argent en France puis à Mbour, grâce aussi à Hélène, sa femme toubab. Nous avons une terre assez grande, derrière la forêt.
J'ai été scolarisée pendant 5 ans dans une école de brousse, faisant chaque jour six kilomètres à pied pour apprendre et étudier.
Je passais sur la piste qui bordait le champs familial et, je me disais souvent que j'avais de la chance d'aller en classe.
Souvent, tôt le matin ou bien après l’angélus, j'aide à sortir ou renfermer les chèvres, je pars chercher de l'eau au puits avec mes sœurs. Du bois pour la cuisine aussi.
En fonction des pluies d'hivernage, j'étais obligée de faire parfois l'école buissonnière. On avait besoin de toute la famille, des voisins, des cousins pour semer, récolter, trier, stocker.
Bon an, mal an, nous remplissons les greniers correctement et vendons notre production maraîchère aux marchés des villages avoisinants.
Nous n'avons jamais été vraiment pauvres; encore moins affamés. La vie nous semble laborieuse mais heureuse. Souvent, une simple fête de village parvient à nous offrir une vraie récréation; attendue et préparée de longue date et qui embaume notre cœur et nos souvenirs bien après le dernier son du Sabar.
Ma sœur ainée, Bigué est descendue  la semaine dernière de Mbour.
Mon oncle l'avait fait venir comme servante dans sa maison près de l'océan.
Elle s'est enfuie et est revenue à la concession.
Elle est venue se coucher sur mon matelas, se blottir contre moi, profitant que mes frères étaient aux champs.
Elle m'a raconté ses quatre mois à Mbour.
Nous avons beaucoup ri, beaucoup pleuré aussi. Je l'ai prise souvent dans mes bras durant notre conversation.
Bigué a d'abord travaillé chez mon oncle. Ménage, lessive, cuisine, vaisselle et commissions.
Comme au village. Sinon que la case était très grande, les invités nombreux et souvent toubabs.
Un soir, notre oncle lui a présenté Alain. Un toubab retraité qui vit dans la station touristique de Saly. Il était gentil et l'oncle avait demandé à ma sœur d'être aussi très gentille avec Alain...
Le lendemain, Alain est venu chercher ma sœur. Notre oncle lui ayant trouvé un travail de "Fatou" dans la case du toubab.
Je resterai sobre dans ce qui suit. Juste vous dire que ma sœur et le blanc ont vécu une relation.
Bigué a traversé cette période sans trop réfléchir, prenant la vie du bon côté. Elle vivait dans une jolie villa, sortait au restaurant, avait un chauffeur et recevait des cadeaux d'Alain.
Un jour, Ousmane, le gardien de la résidence, un homme sage et âgé, profitant qu'Alain était absent est venu parler à ma sœur.
Il lui expliqua, entre autres, que notre oncle recevait trois cent mille par mois pour la "location" de ma sœur à Alain.
Trois cent mille francs CFA. Je ne sais pas exactement avec quelle somme nous vivons tous à Ndiaganio. Mais, je sais combien il faut travailler dur pour gagner sûrement moins de la moitié de cette somme et faire vivre une famille de 14 personnes.
Taire ce que ma soeur a vécu mais surtout, taire le proxénétisme de notre oncle va être difficile.
Sinon que Bigué et moi allons garder ce secret. Notre père aime son frère et celui-ci nous a beaucoup aidé quand les récoltes étaient fatiguées.
Bigué a changé. Elle a vécu une autre vie. Une vie que j'avoue, malgré son côté malsain, souhaiter connaître un jour, peut-être. Mais, en l'ayant décidé seule. Sans oncle ni toubab. Si possible...

(illustration Christiane Allenbach)

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I
le Jeguem; nam fio doyen? là, par cette histoire,tu arrives dans mon village . au village, c'est encore autre chose. gérant de bar: 30 000, surveillant general d une ecole privée: 30 000, bonne 30 000. si Adama connait combien elle coute "en location", ça va lui faire pousser les idées.
L
Salut l'ami! Cette histoire est véridique mais, bien évidemment, j'ai modifié le nom du village, les prénoms des antagonistes. Sinon que tu as raison quant aux "salaires" locaux.